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Non, participer à une manifestation non déclarée ne constitue pas en soi un délit

Écrit par le 27 mars 2023

Participer à une “manifestation non déclarée” constitue un “délit” qui “mérite” une “interpellation” par les forces de l’ordre, a déclaré mardi 21 mars le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à l’heure où les rassemblements spontanés se multiplient en France pour protester contre la réforme des retraites. C’est faux : si les organisateurs de manifestation non déclarée peuvent faire l’objet de poursuites, le seul fait de participer à ce type de rassemblement n’est pas illégal, comme l’a rappelé récemment la Cour de cassation.

Rejoindre une manifestation spontanée constitue-t-il un délit et justifie-t-il en soi une interpellation par les forces de l’ordre? Cette question de droit s’est invitée dans le débat sur la réforme du système des retraites qui s’accompagne depuis maintenant une semaine de rassemblements de protestation dans les rues de plusieurs villes de France, notamment à Paris.

Ces manifestations spontanées, dont certaines ont été émaillées d’incidents ou de tensions avec les forces de l’ordre, se sont encore étoffées depuis lundi après le rejet de deux motions de censure et l’adoption définitive par le Parlement du projet de réforme prévoyant un report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Au total, 287 personnes, dont 234 à Paris, ont été interpellées lundi soir en France lors d’une cinquième soirée consécutive de manifestations spontanées, selon une source policière.

“Il y a eu 1.200 manifestations non déclarées, il faut savoir qu’être dans une manifestation non déclarée est un délit, mérite une interpellation”, a déclaré mardi 21 mars le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, lors d’une visite à la caserne de police Bessières, dans le 13ème arrondissement de Paris.

“Que de jeter des cocktails molotov sur des préfectures comme ça a été le cas à Albi, à Dijon (…), saccager des mairies, ça a été le cas à Lyon, s’en prendre à des dizaines et des dizaines de permanences de parlementaires (…), de sièges de partis politiques (….) mais aussi de s’en prendre directement à des domiciles de femmes et d’hommes qui sont élus, locaux ou nationaux, c’est évidemment absolument inacceptable, que de mettre le feu à des abribus, à des voitures, que d’atteindre les policiers (…) avec des pavés qui leur déforment la mâchoire, ça n’a rien à voir avec la réforme des retraites”, a poursuivi Gérald Darmanin.

“Les policiers et les gendarmes sont là pour encadrer ceux qui veulent manifester contre le gouvernement, ce sera le cas jeudi, ce sera le cas de toutes les manifestations déclarées dans le cadre de notre état de droit, quels que soient ceux qui déclarent cette manifestation, non au désordre, à la ‘bordélisation'”, a-t-il ajouté.

Que dit la loi ? En France, le droit de manifester est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon laquelle “la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme”.

Les manifestations sont toutefois encadrées par le code de la sécurité intérieure qui les soumet notamment à une déclaration préalable qui précise notamment le parcours et identifie les organisateurs, afin de prévenir d’éventuels troubles de l’ordre public.

Dans les faits, les organisateurs doivent, au minimum trois jours avant l’événement, déclarer la manifestation auprès des mairies de toutes les communes qui seront traversées par la manifestation. À Paris, la déclaration est faite auprès de la préfecture de police.

Faute de déclaration préalable, l’organisateur de la manifestation est passible de six mois de prison et de 7.500 euros d’amende, selon l’article 431-9 du code pénal. La même peine est prévue pour l’organisation d’une manifestation ayant été interdite ou pour avoir fourni une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée.

En cas d'”attroupement”, à savoir de “rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public”, le code pénal autorise les forces de l’ordre à le disperser “après deux sommations de se disperser demeurées sans effet”.

En revanche, aucune disposition légale n’est prévue pour les personnes participant à des manifestations non déclarée. Autrement dit, un manifestant ne peut pas être arrêté uniquement pour sa seule participation à une manifestation spontanée, contrairement à ce que déclare Gérald Darmanin.

Ce point a été rappelé par la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, dans son arrêt du 14 juin 2022. La Cour avait été saisie après un jugement rendu par du tribunal de police de Metz du 2 février 2021, qui avait confirmé la contravention de membres d’une “chorale révolutionnaire” qui s’était retrouvée pour chanter sur la voie publique en mai 2020, juste après le premier confinement.

“Ni l’article R. 644-1 du code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non-déclarée”, a estimé la Cour de cassation dans son arrêt, annulant le jugement du tribunal.

Or, selon “nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi”, selon l’article 111.3 du code pénal.

Cet arrêt “vient juste rappeler ce qui est écrit dans le code pénal: il n’existe pas d’interdiction de participation à une manifestation non déclarée”, explique Me Xavier Sauvignet, l’un des avocats de la défense dans le dossier de la “chorale révolutionnaire”. “Les infractions qui existent sont: participation à une manifestation interdite ou organisation d’une manifestation non-déclarée”.

La situation est effectivement différente dans le cas de manifestations interdites, comme cela a été décidé récemment par le préfet de police de Paris, par arrêté et pour trois jours, à la Concorde et sur les Champs-Élysées.

Selon le code de la sécurité intérieure, les autorités peuvent en effet interdire un rassemblement si elles estiment “que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public”. Dans ce cas, les manifestants peuvent être verbalisés pour “participation à une manifestation interdite” et se voir infliger une contravention de quatrième classe, soit une amende forfaitaire de 135 euros.

Contacté par l’AFP le 22 mars 2023, l’entourage de Gérald Darmanin a indiqué que le ministre s’était “exprimé dans le cadre des violences commises lors des rassemblements illégaux.” “Il a expliqué que participer à un attroupement en vue de commettre des violences en réunion était un délit”, a-t-on ajouté de même source.

Les nombreuses interpellations survenues lors des récentes manifestations, déclarées ou non, ont suscité l’émoi dans les rangs de magistrats, avocats et de l’opposition de gauche notamment qui ont dénoncé des gardes à vue “arbitraires” et y ont vu une “répression du mouvement social”.

Selon le dernier bilan consolidé du parquet de Paris mardi soir, 425 personnes ont été placées en garde à vue lors des trois premières soirées de manifestations spontanées, de jeudi à samedi. Seules 52 d’entre elles ont fait l’objet de poursuites.

“Les FDO [forces de l’ordre, NDLR] et leurs supérieur·es ne respectent donc pas le droit, veulent dissuader de manifester et réprimer les manifestations spontanées”, a estimé sur Twitter l’Observatoire parisien des libertés publiques, collectif indépendant créé à l’initiative de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et du syndicat des avocats de France. “Les interpellations de manifestant·es pour simple participation à une manifestation non déclarée sont donc illégales”.

Face aux critiques, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez a assuré mardi sur BFMTV qu’il n’y avait pas “d’interpellations injustifiées”. “Je ne peux pas laisser dire ça”, a-t-il déclaré. “On interpelle pour des infractions qui, à nos yeux, sont constituées”, mais “48 heures (de garde à vue) pour essayer de matérialiser l’infraction, c’est court”, a-t-il ajouté.

Info LM / AFP